J’aime beaucoup les expositions du musée d’Orsay, qui sont souvent bien faites et qui nous montrent des pans peu explorés de l’histoire de l’art. J’aime moins l’interdiction de plus en plus pesante (et frustrante) de prendre des photos, et ce pas seulement dans les salles d’exposition, mais aussi dans les collections permanentes ! Mais passons, j’étais trop intriguée par le titre de l’exposition, s’y tenant jusqu’au 9 juin 2013, pour la rater. L’Ange du bizarre est le titre d’un conte d’Edgar Allan Poe : le ton est donné. Ce que nous allons voir est sombre et glaçant. Car ici nous est présenté le romantisme noir dans les arts visuels européens, du XVIIIe siècle au XXe siècle. Allez, je vous emmène dans les profondeurs de l’histoire de l’art. Brrr !
Le parcours chronologique de l’exposition nous permet d’appréhender ce courant qui répond par l’imaginaire aux inquiétudes humaines lors des temps de crise. Un imaginaire obscur qui se nourrit des peurs et des désirs enfouis au plus profond de l’être. Le romantisme noir est découpé ici en trois parties : le temps de sa naissance (1770-1850), celui de son appropriation par les symbolistes (1860-1900) et celui de sa redécouverte dans l’art surréaliste (1920-1940). Nous voyageons ainsi à travers l’Europe au fil des siècles et de ses époques troublées.
Notre première étape est la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle. Les peintres, Füssli et Blake en tête, puisent leurs sujets dans la littérature anglaise baroque. Ils peignent des figures issues de superstitions populaires, mais aussi des images de la folie, de l’avidité et des pulsions de l’être humain. Ils captent le public par l’effroi, à l’image de La folie de Kate de Füssli, qui nous happe dès notre entrée dans l’exposition.
Puis nous faisons halte en France. Beaucoup d’artistes s’y inspirent de la Divine Comédie de Dante et des scènes de l’Enfer qu’il décrit, où des humains acculés sont poussés à des actes monstrueux. D’autres, comme Delacroix ou Hugo, se plaisent à représenter d’innocentes jeunes filles, emportées sans pitié par des diables grotesques, issus de la tradition populaire médiévale.
Nous nous arrêtons après en Espagne, à l’époque du fanatisme et de l’ignorance cultivée par les Jésuites. Goya nous montre dans sa série d’estampes, Les Caprices, cette Espagne et ce monde nébuleux, où s’abolissent les frontières entre le Bien et le Mal, le réel et le fantastique.
Aussi, quand les paysages anglo-saxons mettent en scène le déchainement des forces naturelles, les paysages français et allemands nous montrent des endroits plus inquiétants qu’effrayants : des ruines gothiques, des forêts sombres, des cimetières. Le paysage de mer calme à la lueur cachée de Friedrich est, quant à lui, fait pour perdre le spectateur dans son immensité .
Nous changeons ensuite d’époque et entrons dans l’univers des symbolistes, qui redécouvrent le romantisme noir, sa magie, son mystère, à une époque de bouleversements. Ils représentent des figures maléfiques des différentes mythologies européennes, le plus souvent des figures féminines. Car la femme les obsède : la femme fatale, coupable depuis le mythe de la Création, mais aussi la femme instrument de la Nature, qui dupe les hommes par le plaisir charnel.
Les figures de la sorcière et les danses macabres, liées aux angoisses du temps, ressurgissent. La sorcellerie est alors vue comme un moyen perdu de connaissance des harmonies cachées de l’Univers . La danse macabre fait la part belle à la « mort », en ces temps d’hygiénisme et paradoxalement d’épidémies.
Les contes de Poe et d’Hoffmann enrichissent l’imaginaire noir. Le fait que le fantastique surgisse dans le quotidien, dans l’urbanité des hommes augmente le malaise et cette impression d’inquiétante étrangeté. Qui est finalement recherchée par les artistes.
Enfin, au début du XXème siècle le cinéma s’empare du romantisme noir et créent les classiques du film d’horreur, tel Dracula et Frankenstein. Au même moment, les surréalistes veulent réactiver ce courant. Ils y retrouvent l’abdication de la raison, le rêve, mais aussi les lieux gothiques, lieux d’enfermement, qui laissent place à l’imaginaire.
Ce petit résumé du parcours de l’exposition ne rend pas la puissance des œuvres qui y sont montrées et le malaise que l’on peut ressentir face à elles. La muséographie est d’ailleurs bien faite : ambiance tamisée (certaines œuvres sont parfois un peu mal éclairées), murs sombres, atmosphère glaçante. La température ne l’est malheureusement pas ! Il y avait beaucoup de visiteurs quant j’y suis allée et il régnait dans les salles une chaleur étouffante !
Je ne regrette pourtant pas d’avoir vu ces œuvres et d’avoir mieux appréhendé ce courant artistique, peu étudié pendant mes études (d’histoire de l’art). Si comme moi, vous êtes intrigués, n’ayez pas peur de sombrer dans ces imaginaires inquiétants et cruels…
Merci pour ce résumé toujours aussi bien écrit !
Cette exposition semble à la fois palpitante et intrigante ; je suis trop loin du musée d’Orsay pour pouvoir m’y rendre, mais je te remercie une fois de plus de me faire voyager sans bouger de mon bureau.
N’y avait-il que des œuvres exposées, ou pouvait-on lire aussi des textes sur le sujet du romantisme noir ? J’avoue trouver cela très intéressant, et ça change des thèmes habituels.
Peu de textes mais quelques citations, comme celle- ci (que j’ai oublié de glisser dans l’article !) : « La cruauté est le premier sentiment qu’inspire en nous la nature » Sade.
L’exposition est par contre rythmée par des extraits de films. ^^
Le catalogue de l’exposition est magique. Tres bien fait et très bien documenté, je le recommande !