Architecture en uniforme

Découverte lors de son inauguration, l’exposition Architecture en uniforme. Projeter et construire pour la Seconde Guerre mondiale, qui se tient jusqu’au 8 septembre 2014 à la Cité de l’architecture et du patrimoine, m’a captivée : elle nous fait entrer dans l’œil des architectes et nous invite à comprendre le développement de l’architecture durant la guerre. Car le conflit a eu des effets tant sur la manière de penser la discipline que sur l’environnement bâti. Il a aussi accéléré l’innovation technologique et annoncé l’architecture moderne. Le parcours de l’exposition est organisé autour de vingt thèmes confrontant les projets des pays engagés, du côté des Alliés comme du côté de l’Axe.  300 œuvres originales – affiches imprimées, maquettes, dessins – et documents filmés, issus des archives Gaumont-Pathé, rythment cette exposition dense et instructive qui aborde un pan méconnu de cette sombre période de l’Histoire.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, une quarantaine d’architectes, tous pays confondus, œuvrent sur le plan stratégique aux côtés des ingénieurs et des scientifiques. Si certains sont mobilisés pour participer aux combats, d’autres travaillent au service d’une production industrielle intense.

La guerre se rapproche des villes : elles deviennent des champs de bataille. Les attaques aériennes visant à terroriser les populations civiles sont opérées par les forces de l’Axe, mais aussi par les forces alliées à partir de 1942. Les grandes villes et leurs monuments sont profondément meurtris. Cologne se trouve presque entièrement détruite par les bombardements. En France, les architectes participent à la protection des édifices historiques à l’aide de pyramides de sacs de sables.

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Les populations des pays en guerre voient leur quotidien bouleversé par les blocus et les pénuries. Les affiches de propagande tendent à renforcer leur moral mais aussi à les inciter à consommer différemment et à utiliser des objets domestiques utiles. Car l’ensemble des matières premières doivent être mises au service de l’effort de guerre. Cette nouvelle éthique, fondée sur l’économie et le recyclage, dessine un premier laboratoire de l’architecture durable.

De grands architectes, tels Auguste Perret ou Le Corbusier, s’emploient à construire d’immenses usines d’avions, de véhicules ou de munitions. Celles-ci s’éloignent des grandes agglomérations et changent d’échelle : elles font parfois la taille d’une ville. Des usines d’un nouveau genre, sans fenêtres, sont pensées. Albert Kahn, qui juge inacceptable cette préconisation, édifie des usines à niveau unique en acier, éclairées par le haut et les côtés.

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Pour loger les ouvriers, les architectes élaborent de grandes cités, où les habitations sont fonctionnelles, modulaires et démontables. C’est ainsi que la construction d’ensembles préfabriqués voit le jour. Le Corbusier et Jean Prouvé imaginent même des « écoles volantes » susceptibles de suivre les populations sur les routes de l’exode.

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Les architectes produisent aussi pour le combat. Ils conçoivent des systèmes de préfabrication pour favoriser la mobilité des troupes et des équipements. Au Etats-Unis, sur le polygone de tir de Dugway dans l’Utah, des villages allemands et japonais sont reconstitués pour y observer la combustion du napalm. Des fortifications sont érigées dans les deux camps : la ligne Maginot au nord-est de la France jusqu’en 1940 et le mur de l’Atlantique le long de la côte occidentale de l’Europe alors que celle-ci est occupée par les Allemands.

Des abris sont construits pour protéger les populations des villes bombardées. Des systèmes de camouflage sont mis au point pour cacher à l’ennemi la présence des forces armées, des usines voire de villes entières. Une approche scientifique de l’architecture se développe au service de chaque belligérant. Dans les écoles d’architecture qui restent ouvertes pendant la guerre, on enseigne aux futurs architectes cet art du camouflage.

La Seconde Guerre mondiale voit aussi l’avènement de macro-projets, ces installations géantes conçues par des équipes de centaines d’architectes. Cette tendance de l’époque à la grande échelle est sensible dans la production industrielle, la logistique et la conduite du conflit. A l’image d’Oak Ridge, la ville-usine secrète où est fabriquée l’arme atomique ou à l’image du camp d’Auschwitz-Birkenau et de ses plans rationnels.

Certains architectes connaissent l’emprisonnement dans les camps.  D’autres œuvrent déjà à repenser les villes : les Français, sous le régime de Vichy, élaborent des plans pour les villes détruites en se fixant sur des stéréotypes régionalistes ; les Allemands imaginent de nouveaux projets pour les territoires annexés comme la Moselle.

Après guerre, l’heure est à la reconstruction et au souvenir. La ville du Havre, qui a été presque entièrement rasée, est repensée par Auguste Perret. Le Corbusier imagine des unités d’habitations transitoires. Les monuments commémoratifs fleurissent dans toute l’Europe et une politique de recyclage des matériaux de guerre est prescrite.

Le parcours de l’exposition montre bien quelles ont été les innovations majeures du point de vue de l’architecture pendant la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans les nouveaux matériaux employés que dans les nouvelles manières de produire et de construire. Elle amène également une réflexion sur ce que nous a légué cette guerre. Si la scénographie est un peu austère (ce qui se justifie aisément) et si certaines œuvres parleront plus aux architectes de métier, cette exposition est une véritable immersion dans cette période où tout s’est trouvé bousculé. A voir absolument donc !

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