Avec le nombre d’expositions que j’ai raté ces derniers temps, quoi de mieux que les visites organisées (toutes les semaines) par le groupe SMV pour se remettre dans le bain ! Je ne pouvais de toute façon pas rater ce #SMV178 qui avait lieu à la Cité de l’architecture et du patrimoine, car je me suis vraiment prise d’affection pour ce lieu, ses beaux espaces muséographiques et ses expositions toujours hyper instructives ! Cette fois encore, j’ai été ravie par l’exposition Viollet-le-Duc, les visions d’un architecte, qui se tient jusqu’au 9 mars 2015 (voilà pourquoi il faut que je me dépêche de vous en parler !) Celle-ci commémore le 200ème anniversaire de la naissance de cet homme aux multiples talents : dessinateur, architecte, écrivain, théoricien et restaurateur. Son œuvre, variée et gigantesque, fait d’ailleurs toujours référence auprès des professionnels de l’architecture. Et ce, malgré les polémiques engendrées par la restauration – à sa façon- des plus grands monuments français. Le moins que l’on puisse dire c’est que Viollet-le-Duc (1814-1879) a marqué l’histoire de l’art et de l’architecture du Moyen-Âge, en étant à la fois sauveteur et destructeur de notre patrimoine médiéval. S’il s’est toujours attaché à se mettre au service du patrimoine, il avait aussi un tempérament romantique qui se nourrissait de visions. Et c’est justement ce que l’exposition tend à nous montrer. Loin d’expliquer le caractère rationnel de Viollet-le-Duc et l’ensemble de ses travaux, elle pointe les aspects les moins connus et les plus inattendus – voire étranges – de sa personnalité.
Un homme dans son temps. Tout au long de sa vie et de sa carrière, Eugène Viollet-le-Duc évolue dans un milieu bourgeois et érudit où il rencontre des artistes, des architectes, des journalistes, des romantiques, tous soucieux de la conservation des monuments. Il fait ainsi la connaissance de Prosper Mérimée, premier inspecteur général des Monuments historiques, qui lui confie la restauration de la basilique de Vézelay. Il n’a alors que 26 ans mais déjà une grande connaissance de l’architecture médiévale. Il produit énormément de dessins et note tout dans ses livres de compte. C’est aussi un homme de réseaux, qui transite dans différentes sphères politiques, de la Restauration à la IIIème République.
Le romantisme et les voyages en France. N’ayant pas suivi de formation académique en architecture, Viollet-le-Duc se nourrit des voyages qu’il entreprend avec son oncle Etienne-Jean Delécluze, journaliste et critique d’art. Il parcourt la France, qui est devenue une destination prisée, et découvre plusieurs régions de 1831 à 1835. La correspondance qu’il entretient avec ses proches témoigne de son engouement pour le Moyen age et la Renaissance et manifeste son goût pour le patrimoine pittoresque, dépositaire de l’identité nationale, ainsi que son penchant pour le romantisme, qui prône la « couleur locale ». Ses lettres, ponctuées de nombreux dessins, révèlent également sa virtuosité à reproduire les architectures.
Le voyage en Italie. Entre 1836 et 1837, Viollet-le-Duc part avec un ami en Italie, où sa femme et son frère les rejoignent. Son voyage financé par une commande de Louis-Philippe, il jouit d’une certaine liberté dans ses déplacements à travers le pays. Là-bas, des réflexions et des visions vont naître en lui et le poursuivre durant des années : la vision du théâtre de Taormine alors que celui-ci est en ruines, celle qu’il a des jeux en entrant dans le Colisée, ou encore celle de la structure intérieure du Palais des Doges alors qu’il n’y est pas entré.
Sur le chantier de la Sainte-Chapelle. Viollet-le-Duc participe à partir de 1840 au chantier de restauration de la Sainte-Chapelle, en tant que second inspecteur des travaux aux côtés de Jean-Baptiste Lassus. Il prend part aux débats sur les choix et le niveau d’intervention à opérer. A la mesure de l’édifice, les travaux sont gigantesques : les fragments des sculptures extérieures sont rassemblés, la tribune et la polychromie intérieure sont reconstituées, l’état connu de la flèche du XVe siècle est restitué, les verrières sont recomposées.
L’architecture, un organisme vivant. Viollet-le-Duc développe une curiosité pour des matières et des domaines extrêmement variés. Il porte un grand intérêt à la montagne, la géologie, l’anatomie, la botanique, la minéralogie. Lecteur de Darwin, il s’intéresse aussi aux sciences de la nature, à la question de l’évolution et des êtres hybrides. Son idée que les lois de la nature présentent des concordances avec la création architecturale l’amène à envisager la restauration du Mont-Blanc, en lui rendant son aspect avant son érosion ! Il dresse d’ailleurs une carte du massif qui est toujours d’actualité. Alors qu’il voit dans la construction médiévale un organisme vivant, il s’emploie à produire des normes pour donner une amplitude anthropologique à l’architecture.
La restauration de Notre-Dame de Paris. Décidée en 1842, l’entreprise de restauration de Notre-Dame de Paris est immense. C’est le projet de Jean-Baptiste Lassus et de son associé Eugène Viollet-le-Duc qui est retenu. Ce chantier tient lieu de manifeste des idées de Viollet-le-Duc en matière de restauration monumentale, de décoration et d’aménagement urbain. Pour lui, « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Pour que la cathédrale apparaisse telle qu’elle aurait dû être au Moyen Age, les travaux et réalisations vont durer plus de 20 ans : la flèche, la sacristie, les décors intérieurs et extérieurs, les roses, les vitraux narratifs, les verrières hautes du chœur, les peintures murales décoratives des chapelles, les pièces d’orfèvrerie, l’organisation du Trésor, sont autant de chefs d’oeuvre d’architecture et d’ornement.
Comprendre le Moyen Âge pour être de son temps. Pour les romantiques, le Moyen Âge donne la clé de l’identité nationale ; Viollet-le-Duc ajoute à cela que le gothique fournit celle de la vérité du style. Il utilise des moyens modernes d’investigation pour comprendre l’idée initiale de l’architecte, l’unité stylistique de l’édifice (sans prendre en compte les transformations subies au fil du temps) et s’attache à retrouver l’état idéal des bâtiments qu’il restaure, qu’ils soient civils ou religieux. Son côté visionnaire et sa connaissance érudite de l’architecture médiévale lui permettent de reconstituer le Moyen Âge et de définir des architectures types, comme le château fort ou la cathédrale idéale. C’est ce qu’il fait à Pierrefonds : ce qui n’était que ruines devient un château grandiose ! En parallèle, il travaille avec ses contemporains sur des inventions et réalisations modernes.
Un pédagogue infatigable. Viollet-le-Duc souhaite transmettre ses connaissances, car il est sûr de la valeur de sa méthode. Alors qu’il s’est toujours opposé à la manière d’enseigner de l’Académie et de l’Ecole des Beaux-Arts, il créé, avec l’ingénieur Emile Trélat, l’Ecole centrale d’architecture. Il est aussi à l’origine de la création du Musée de la sculpture comparée, installé dans le palais du Trocadéro. Ce dernier a pour but d’exposer les moulages des plus remarquables monuments français du Moyen Âge et les chefs d’oeuvre de la sculpture française du XIIe au XVIe siècle. Enfin, son sens de la démonstration dans son écriture, où il combine texte et images, font de ses publications des outils de référence.
Vous l’aurez sans doute compris en lisant ces lignes, l’exposition Viollet-le-Duc est très bien documentée mais aussi très dense : l’heure et demi qu’a duré ma visite ne m’a presque pas suffi ! J’ai d’ailleurs à peine eu le temps de m’attarder devant tous les dispositifs ludiques mis en place dans l’exposition : films permettant de visualiser les visions de Viollet-le-Duc sous forme de projections et de superpositions de dessins et de photographies, bornes interactives permettant de se rendre compte de la restauration de Notre-Dame, support permettant de dessiner à l’aide d’une chambre claire (appareil qui fonctionne selon un principe de superposition optique du sujet à dessiner et de la surface où doit être reporté le dessin).
Cette exposition est à voir absolument (et rapidement donc !) pour qui veut découvrir la personnalité et les lubies – à travers plein d’anecdotes – de cet homme qui a marqué la France de son empreinte. Et ce, même si ses théories peuvent nous sembler aujourd’hui quelque peu douteuses !
Effectivement, l’exposition se termine début mars, il ne faut pas trainer !